Selon la définition de l’OMS en 1946, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Plus qu’un état, la santé est une ressource et un processus dynamique et global qui doit permettre à chaque individu d’identifier et de réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie (charte d’Ottawa – OMS – 1986).
Le système de soin compte pour 12 à 15 % de l’état de santé d’une population, les 85% restants se situant hors de ce champ (Nicola Cantoreggi, Santé Publique France, 2015). Ces 85% sont les environnements de vie, ou ce que les professionnels en santé publique appellent les déterminants de santé. Parmi eux, on retrouve la biodiversité à travers la nature et les paysages qui nous entourent. La thématique « Biodiversité et Santé » promeut ainsi une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé humaine et environnementale (à l’image de l’initiative One Health). Il s’agit d’un vaste champ d’investigations à l’intersection de nombreuses disciplines (architecture, urbanisme, écologie, santé publique, …) qui conduit à une démarche interdisciplinaire.
Si la biodiversité peut être perçue comme un réservoir de maladies et de vecteurs, elle contient aussi d’importantes ressources de molécules actives, au-delà des services directs que les écosystèmes rendent à la santé et bien être humain. La biodiversité est donc un enjeu majeur pour la santé des populations et cette interaction doit devenir une opportunité pour mobiliser la population, la société civile et les élus en faveur de l’environnement. L’objectif est que chaque citoyen prenne conscience de l’influence des espaces naturels sur sa santé et son bien-être, tout comme réciproquement nous avons une influence sur la santé de l’environnement. Un sondage récent a par ailleurs montré que 91% des habitants Néo-Aquitains sont intéressés par la thématique de la santé environnementale (Baromètre Santé Environnement 2015).
Bien que la biodiversité soit essentielle pour notre vie quotidienne, ce fait n’est pas toujours perçu par le grand public et les acteurs du territoire. En effet, notre santé dépend des services et produits des différents écosystèmes, au travers notamment de la disponibilité d’un territoire à avoir une eau douce et potable, ou d’avoir un sol sain et vivant pour favoriser sa production et la qualité des aliments (alimentation biologique). La perte de la biodiversité dans ces écosystèmes, qu’elle soit animale ou végétale, peut avoir des conséquences directes non négligeables, délétères sur notre santé. C’est par exemple le cas de la pollution de l’eau qui est devenue l’une des préoccupations majeures au sein de notre société. En effet, la pollution médicamenteuse, ou par d’autres micropolluants, et l’exposition combinée à plusieurs perturbateurs endocriniens (bisphénol A, phtalates, PCB, pesticides) agissant en synergie, a un effet significatif sur la santé humaine. La perturbation des milieux par les activités anthropiques a aussi des conséquences indirectes sur la santé, comme la progression locale d’espèces exotiques ou d’espèces allergisantes parmi lesquelles le moustique tigre et l’ambroisie.
Cependant, la diversité biophysique des micro-organismes, de la flore et de la faune a montré depuis la nuit des temps son importance comme source de connaissance et de progrès dans les domaines de la biologie, la médecine ou encore la pharmacologie. L’Organisation Mondiale de la Santé estime que 80% de la population mondiale a régulièrement recours à des remèdes traditionnels à base de plantes. De plus, ces plantes génèrent plus de 25% de tous les produits actifs présents dans les médicaments. Les grandes découvertes médicales et l’utilisation des molécules actives dans notre système de santé actuel ont été possibles grâce à une bonne compréhension de la biodiversité et à sa préservation. On estime que seulement 5 000 espèces végétales ont été étudiées sous l’angle sanitaire, sur les 300 000 espèces connues. La perte de la biodiversité limitera la découverte de nouveaux traitements potentiels contre les maladies actuelles.
L’importance de la biodiversité pour la santé ne se limite pas à l’utilisation de molécules actives issues du vivant pour la fabrication de médicament. En effet, de nombreuses recherches scientifiques utilisent les espèces comme modèle pour mieux comprendre le fonctionnement du corps humain et les voies d’action des médicaments. Par exemple, différentes études du Georgia Institute of Technology ont essayé de comprendre pourquoi certains chimpanzés, proche de l’homme génétiquement à 98.7%, n’ont quasiment jamais de cancer et ne sont pas atteints par le VIH.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les services rendus par la biodiversité ne se limitent pas à la recherche médicamenteuse. Les écosystèmes en bonne santé permettent par exemple l’absorption de substances toxiques ou le contrôle d’espèces pathogènes. Ce mécanisme s’illustre facilement par la mise en évidence du lien existant entre la proportion de rongeurs porteurs de maladie de Lyme et la présence de renards contribuant à la régulation des populations. Les estimations trouvées dans la littérature indiquent également qu’un hectare de forêt pourrait absorber annuellement 70 000 kilos de poussières fines et d’éléments toxiques, ce qui laisse donc entrevoir de nouvelles perspectives dans l’aménagement du territoire.
Enfin, la biodiversité procure aussi des bénéfices pour le bien-être physique et mental à travers une interaction sensorielle avec elle à travers l’écothérapie. Ce type d’interaction entre biodiversité et santé n’a rien de nouveau. En effet, après la révolution scientifique et le développement de la thérapie moderne, Erik Erickson, l’un des principaux étudiants de Freud, a utilisé la reconnexion à la nature non seulement pour sa propre guérison, mais aussi pour ses patients (Stigsdotter 2011). Plus tard en Europe, le jardin est redevenu un enjeu important pour les hôpitaux, les hôpitaux psychiatriques et sanatoria, dans le but de créer un environnement naturel plus attrayant pour le patient tout en valorisant le coté sain de l’établissement. Dans les années 2000, Les politiques se sont emparés de cette thématique, notamment en Bretagne, où la région a commandé au CESER, un rapport sur la qualité de vie procurée par les espaces publics, en s’interrogeant sur l’importance de la nature dans ces espaces (Stefan 2016). Cependant, la compréhension de cette interaction et de ses effets positifs d’un point de vue scientifique est assez récente. Les premiers travaux sur l’influence de la nature sur le bien-être et la santé, sont ceux de Moore (1981) qui démontra que les prisonniers bénéficiant d’une vue sur la nature demandent nettement moins de soins que leurs homologues n’en bénéficiant pas. Par la suite, Ulrich (1984) publie dans la revue “Science“ une étude montrant les effets analgésiques de la vue sur la nature après une opération, ainsi que la baisse du temps d’hospitalisation. À l’heure actuelle, les travaux se basent sur deux grands courants pour expliquer les effets de la nature sur la santé, à savoir la biophilie (Ulrich 1993 ; Wilson 1984) et la théorie de la restauration de l’attention (Kaplan et Kaplan, 1989 ; Kaplan, 1995). Depuis, plusieurs études confirment l’influence positive de la nature sur le bien-être, le stress, l’anxiété des hommes mais aussi comme une source de réconfort. En effet l’équithérapie est de plus en plus utilisée en thérapie pour aider les personnes atteintes de troubles psychologiques dans différents pays (Beute et de Kort 2014 ; Bratman, Hamilton et Daily 2012 ; Bringslimark, Hartig, et Patil, 2009 ; Haubenhofer, Elings, Hassink, et Hine, 2010 ; Kuo 2010 ; Lohr 2010 ; Malenbaum et all 2008 ; Thompson Coon et all. 2011 ; Velarde, Fry et Tveit, 2007). Des forêts sont labellisées thérapeutiques et utilisées comme médecine préventive au Japon, accueillent chaque année des milliers de japonais pour des traitements de plusieurs jours.
De même, en Suède des parcs écothérapeutiques de 2 à 9 hectares ont été conçus début des années 2000, afin d‘accueillir les anciens militaires ayant des troubles post-traumatiques. Bien que la recherche sur la thématique soit très peu développée en France, quelques initiatives de ce type voient le jours en Nouvelle- Aquitaine comme la création du jardin des Sens à la Maison de Santé Marie Galène, la mise en place du jardin d’Oréda ou encore le site « Au temps pour toi », près de Limoges, qui accueille des personnes atteintes de burn out dans un gite isolé situé en pleine nature.
Ainsi, il est nécessaire d’avoir une meilleure compréhension de l’interaction entre les espaces naturels et l’état de santé des humains afin d’aider à la prise de décision pour agir positivement sur les territoires. C’est dans cet objectif que le Conservatoire d’Espaces Naturels d’Aquitaine sera partenaire d’une thèse CIFRE, portée par le Bureau d’étude Biodiv’airsanté France, sur le sujet de l’influence des caractéristiques paysagères sur la santé de personnes atteintes de burn out.
Des actions sont menées dans les territoires par des Conservatoires d’Espaces naturels pour lutter contre les plantes invasives et allergisantes comme l’ambroisie. Le Conservatoire de Guyane est sollicité par l’Agence Régionale de Santé en tant que sentinelle des risques sanitaires (oiseaux, mammifères, …). C’est un système de veille sanitaire permettant de détecter une menace pour la santé de la population. Des animations naturalistes sur la thématique des plantes comestibles et médicinales sont organisées dans des sites en gestion. Des réflexions et projets sont en cours au sein du CEN Aquitaine pour évaluer la « santé » d’un territoire via le prisme de la biodiversité (insectes pollinisateurs, Mousses et Lichen, espèces anémogames, espèces entomophiles, mise en œuvre de l’application I-TREE, …). Mais aussi pour labelliser des espaces naturels en site d’écothérapie, prendre en compte la santé dans les plans de valorisation des espaces naturels (accessibilité pour les personnes handicapées, panneaux de sensibilisation sur les risques sanitaires, …), intégrer une trame biodiversité – santé dans les documents d’urbanisme, acquérir des réservoirs de biodiversité à proximité des centres urbains, hôpitaux, maisons de retraite, etc.
Nos partenaires s’emparent aussi de ce sujet, le prochain Congrès National des Parcs Naturels Régionaux en 2020 s’articulera autour de la thématique de la Santé. Début 2019, l’Agence Française pour la Biodiversité a demandé une expertise à l’Ecole Nationale des Services Vétérinaires et à Sciences-Po Lyon pour identifier l’ensemble des actions menées sur la thématique « Biodiversité-Santé » en Rhône-Alpes. Jean- Yves Chetaille, président du CEN Rhône-Alpes et Clément Crozet, responsable Béarn du CEN Aquitaine ont contribué à cette réflexion.
Au niveau politique, le réseau des CENs sera représenté au groupe de travail ministériel « Santé et Biodiversité » mis en place par le Groupe national Santé- Environnement (GSE), créé en 2009 par les deux ministères chargés de la santé et de l’environnement. Le GSE est chargé de suivre et d’orienter les actions du Plan National Santé-Environnement (PNSE), au niveau national et régional. L’approche holistique et intégratrice de la thématique Biodiversité-Santé permet et permettra d’instaurer de nouvelles collaborations entre écologues, professionnels en santé publique, géographes, paysagiste, … afin d’améliorer le bien-être et la santé humaine, dans un habitat où la richesse des espèces vivantes est développée.
Article Février 2019
Marie Larcher Essamet – Bruno Tudal, Biodiv’AirSanté – Clément Crozet, Architecture Santé